« 1, 2, 3 albums », ou quand les albums poussent les portes des EHPAD et établissements médico-sociaux

Véronique-Marie Lombard, responsable de l’association Livralire basée à Chalon-sur-Saône (71), est la créatrice du projet « 1, 2, 3 albums ». Murielle Daumur est animatrice à l’EHPAD Bouthier-de-Rochefort à Semur-en-Brionnais (71). Entretien croisé.

Propos recueillis par Marion Masson, chargée de mission Développement des publics et Vie littéraire à l’Agence Livre & Lecture Bourgogne-Franche-Comté

Véronique-Marie Lombard, 1, 2, 3 albums est une création de Livralire qui convie chaque année les personnes de 10 à 100 ans à un voyage-lecture collectif. Quel en est le principe ?

Véronique-Marie Lombard : 1, 2, 3 albums est une offre annuelle (de novembre à juin) de lectures pour jeunes, adultes et aînés, seuls ou en groupe, avec la possibilité de jumeler des établissements. Pour les établissements de santé, ce peut être le jumelage de deux centres d’accueil de jour, deux IME, un EHPAD et une classe…

1, 2, 3 albums a pour objectifs de partager des histoires, échapper au quotidien, s’ouvrir au monde, rendre les participants acteurs dans les animations, avoir des échanges, tisser des liens.

Chaque année, Livralire choisit huit textes illustrés récents et crée un kit d’animation. Les participants (bibliothécaires, enseignants, soignants, animateurs) achètent au moins un pack d’albums (coût moyen 125 €). Ils présentent les livres, encouragent la consultation individuelle des albums et leur lecture (pour qui sait ou peut encore lire), animent des lectures collectives participatives et régulières, de janvier à juin.

Le voyage-lecture se clôt par un vote individuel pour ses trois albums préférés : ceux qu’on aimerait offrir ou se faire offrir.

Murielle Daumur, pourquoi embarquer vos résidents dans ce voyage ? Comment 1, 2, 3 albums trouve-t-il sa place dans un EHPAD ?

Murielle Daumur : Nombreuses sont les personnes âgées en institutions qui ont ou avaient la lecture parmi leurs centres d’intérêt. Mais les difficultés liées au grand âge (problèmes visuels, tremblements, difficulté de concentration, fatigue) freinent la lecture autonome.

1, 2, 3 albums est un support palliatif extraordinaire qui permet de continuer à lire et prendre plaisir à partager des histoires. Sa mise en œuvre au sein de notre EHPAD depuis plus d’une dizaine d’années, en tant que projet d’animation identifié, est la preuve de son intérêt et de son impact.

Véronique-Marie Lombard, des albums jeunesse peuvent donc s’adresser également à des adultes, voire à des personnes âgées ?

V.-M. L. : Parce qu’ils sont en grand format, riches en images, qu’ils portent des textes souvent courts et qu’on les trouve en section jeunesse dans les librairies et les bibliothèques, les albums se voient souvent coller le label « enfance » ! Et pourtant, en lisant ceux destinés aux plus grands, on perçoit bien que les thématiques sont universelles et s’adressent diversement à chacun, selon son âge, son statut et son profil de lecteur. Les histoires entrent en résonance avec la vie et ouvrent au monde. Comme le dit une vieille dame : « Il y a peu à lire, mais beaucoup à broder ».

Les illustrations sont un véritable atout. Elles créent des émotions. Elles nourrissent l’imaginaire. Elles aident à se représenter ce qui est dit. Elles sont aussi des portes d’entrée pour qui ne maîtrise pas la langue. La variété de formats, de graphismes, de genres et de narrations permet des lectures diversifiées. La forme ramassée en fait un excellent support pour des lectures en groupe. Sur une heure, on peut partager une histoire et en discuter (points de vue, questions, souvenirs, etc.).

Certains albums sont source d’inspiration pour des prolongements numériques ou des créations en écriture, arts plastiques, art dramatique. D’autres amènent à rencontrer des témoins, à organiser une visite, à voir un spectacle.

Murielle Daumur, comment cette proposition a-t-elle été accueillie par les résidents participants ?

M. D. : Le temps de lecture partagée autour de 1, 2, 3 albums est un temps précieux qui permet aux résidents de se réunir autour d’un centre d’intérêt commun. Les moments échangés qui en découlent sont de véritables « robinets à souvenirs », et cette évasion cognitive autour du livre est également un vecteur d’émotions incontestable.

Chacun échange, commente, partage des confidences ou relate une bribe de son histoire de vie sous des yeux et dans des oreilles parfois « usés », mais si attentifs !

Des connaissances sont évoquées, des souvenirs partagés. Les résidents rient, pleurent, s’insurgent, s’attendrissent, ou encore s’émerveillent. Ils se découvrent et apprennent à se connaître, tissent ou renforcent des liens avec d’autres, se rapprochent.

L’anagramme qui sert de devise au projet, « Lire c’est lier » prend tout son sens : ce projet contribue à accompagner les résidents dans cette vie en communauté qui caractérise l’EHPAD et permet à certains de sortir de leur isolement.

Véronique-Marie Lombard, sur quelles ressources, formations et accompagnements les animateurs qui embarquent leurs résidents dans ce voyage-lecture peuvent-ils compter ?

V.-M. L. : Livralire organise chaque automne dans les départements partenaires (ceux de Bourgogne-Franche-Comté et les départements de l’Allier, l’Ain, l’Indre, le Tarn) une journée de présentation et d’ateliers, ouverte gratuitement à toutes les personnes intéressées. Cette journée permet de se lancer et d’échanger avec d’autres structures ayant participé les années précédentes.

Une fois inscrites, les structures bénéficient d’une boîte à outils comprenant des supports papier et numériques pour :

• organiser son « voyage » grâce à un vade-mecum de 35 pages ;
• présenter les livres à leur public à l’aide d’une petite scénographie ;
• lire et faire lire :
  • le texte intégral de chaque album, sur un support permettant d’augmenter la taille des caractères pour faciliter la lecture des malvoyants,
  • un panier de lectures « épicées » (textes, visuels et tutos) pour lire in extenso les albums à voix haute de façon dynamique, explicite et coopérative, et dont le public peut s’emparer pour lire les albums à d’autres ;
• promouvoir et identifier le projet : des affiches, des flyers, des stickers millésimés à coller sur les albums, des marque-pages ;
• recenser des textes et des médias « cousins » au moyen d’un padlet participatif ;
• organiser le vote pour ses trois albums préférés.

Le suivi, le partage d’expériences ou les bonnes idées sont assurés par l’association Livralire (liste de diffusion et blog).

Murielle Daumur, quelles sont les conditions de réussite, selon vous, de ce projet en EHPAD ?

M. D. : Il est essentiel de bien expliquer aux résidents les tenants et aboutissants d’un tel projet. En amont, nous recueillons leurs besoins et leurs centres d’intérêt en matière de lecture, et relevons les difficultés entravant ce loisir. Puis nous leur présentons le projet en insistant sur le fait qu’ils seront associés à chaque étape : la découverte scénographiée des albums, les lectures partagées et le vote.

Il est important de ne pas travailler dans la précipitation pour permettre aux résidents de prendre le temps de voyager au travers des albums et d’adapter les lectures en fonction du public. 1, 2, 3 albums fournit des outils précieux, comme les « lectures épicées », pour permettre d’élargir la lecture en fonction des difficultés liées au grand âge.

Les résidents adhèrent parce qu’ils sont acteurs (bricolage, lecture) et que leurs impressions et leurs idées sont entendues et valorisées.

Murielle Daumur, quel est la place du livre dans votre EHPAD, et qu’a apporté 1, 2, 3 albums ?

M. D. : L’EHPAD est avant tout un lieu de vie, et nous devons mettre en place les moyens permettant aux résidents de feuilleter, de regarder un magazine, un album ou encore de lire un livre.

1, 2, 3 albums a permis de développer la place du livre au sein de l’établissement. Le livre permettant de s’évader un moment, seul ou en famille, tous les albums acquis depuis le premier embarquement sont à disposition des résidents et de leurs proches. Ils peuvent ainsi être lus, relus, feuilletés, empruntés librement.

L’inscription à une saison de 1, 2, 3 albums est gratuite en région Bourgogne-Franche-Comté, dans l’Allier, l’Ain, l’Indre, le Tarn. Partout ailleurs en France et à l’étranger, elle est offerte la première année, puis une modique participation est demandée par l’association les années suivantes.