Lauréate du Prix Facile à lire Bretagne 2017 pour La Nappe blanche paru aux éditions Thierry Magnier, Françoise Legendre est, à cette occasion, intervenue dans deux établissements d’accueil de personnes âgées du département du Morbihan, à Auray et à Carnac. Elle nous confie son expérience auprès de ce public.
Pourriez-vous présenter votre travail d’écrivain ?
Françoise Legendre : J’écris des livres pour enfants et jeunes – albums et romans – depuis longtemps, cela en marge de mon métier de bibliothécaire. Qu’il s’agisse de textes très courts ou plus développés, ma démarche est la même : il s’agit d’histoires qui puisent dans ma mémoire individuelle, dans l’histoire familiale et dans l’Histoire aussi, et qui ont trait à des sujets qui me touchent, m’importent et que je souhaite partager.
Comment s’est pensé et mis en place le projet d’intervention à Auray et Carnac ?
F. L. : J’ai été invitée, dans le cadre du prix « Facile à lire » Bretagne, à rencontrer des publics jeunes mais aussi âgés, notamment dans deux EHPAD : dans l’un, il s’agissait de personnes âgées qui, pour la rencontre, avaient été rejointes par quelques jeunes, dont certains étaient porteurs de handicap (mon intervention était traduite en langage des signes).
Dans l’autre, j’ai rencontré des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer.
Qu’est-ce qui vous a motivée à y participer ?
F. L. : Ce qui m’a particulièrement attirée, c’est que mon bref roman, La Nappe blanche, soit justement au cœur de rencontres avec des jeunes et avec des personnes très âgées ou atteintes de la maladie d’Alzheimer : or, ce roman couvre une période longue (1910 à 2014 !). Le temps, la mémoire et la transmission y tiennent une place très importante. J’ai trouvé particulièrement fort de pouvoir échanger, à partir des mots simples et des émotions du roman, avec des personnes pour qui temps et mémoire s’abordent différemment.
De plus, l’organisation était solide, condition indispensable à la réussite de l’ensemble…
D’après vous, quel est l’apport d’un auteur ou d’une autrice à des résident·es / patient·es ?
F. L. : Tout d’abord, il faut réaliser que ces personnes ressentent fortement le fait qu’on ne les oublie pas, qu’une proposition soit construite pour eux.
Une rencontre et un échange avec un auteur ou une autrice – la notion d’échange me semble particulièrement importante – constituent une formidable ouverture : une personne s’adresse à eux autrement, hors du quotidien, de la maladie, et les invite à une expression personnelle, intime parfois : c’est ainsi une reconnaissance partagée qui se met peu à peu en œuvre, reconnaissance très précieuse, notamment, pour les personnes âgées…
L’auteur porte, selon moi, un geste à la fois chaleureux et culturel, qui signifie : « la littérature vous appartient, elle peut beaucoup avec vous, pour vous, échangeons, parlons (de l’écriture, des mots, de nos émotions, de nos souvenirs, etc.), et vous m’apportez beaucoup à moi, auteur, aussi… »
De plus, dans la mesure où les échanges partent d’un texte écrit, un langage lui aussi différent est employé, un vocabulaire autre que celui de tous les jours, des soins, etc. Ces mots en suscitent d’autres, et j’ai eu parfois le sentiment d’un véritable réveil du langage, d’un retour à la vie, dans la bouche de personnes âgées, de mots, d’expressions qui n’avaient plus été employés depuis très longtemps : leur plaisir à ces « retrouvailles » était très perceptible.
Enfin, pour certaines de ces personnes, rencontrer celui ou celle qui a écrit un texte éveille parfois – mais ce n’est pas exceptionnel – des envies ou des souvenirs d’écriture personnelle – journal intime, correspondance, récits de vie autobiographiques…
Quels points de vigilance ou aménagements particuliers avez-vous mis en place pour ce projet ?
F. L. : J’avais pris soin d’apporter avec moi des objets liés au roman qui faisait l’objet de la rencontre, La Nappe blanche. En l’occurrence, il s’agissait d’une serviette brodée qui était directement liée à la nappe du roman. Cela donne un élément concret, fournit un point de concentration et un élément sensuel qui peut faciliter l’approche du texte et la prise de parole. Cette serviette brodée a été source d’émotions et a suscité de nombreux échanges liés notamment à des souvenirs personnels ou familiaux des personnes présentes.
Durant la rencontre, il me semble important de toujours veiller à laisser place à la parole des personnes qui y participent, même si le propos dévie, même si le roman est par moments quelque peu « oublié » : ces échanges- là impliquent de la part de l’auteur écoute attentive, humilité et, surtout, le plus grand respect de tous les participants. Il faut admettre l’imprévu, certaines questions ou interventions inattendues ou surprenantes…
Certaines personnes restent silencieuses, leur attention « décroche » parfois : il faut simplement l’accepter, et comprendre que cela ne signifie pas indifférence ou désintérêt…
Quelles sont selon vous les clés de réussite de ce type de projet ?
F. L. : Je dirais qu’il faut prévoir une certaine tranquillité dans le projet : pour le temps de la rencontre, bien sûr, mais aussi le temps d’après, ce moment où des personnes s’approchent pour continuer un dialogue plus personnel, pour remercier aussi, ou poser une question qu’elles n’osaient pas poser devant tout le monde… Ne surtout pas donner l’impression de tourner le dos et courir ailleurs dès la fin de la séance collective.
La sensibilisation du personnel de l’établissement d’accueil et la prise en compte de ses contraintes par les organisateurs sont bien sûr des points très importants.
Prévoir, un peu en amont de la rencontre, un temps de présentation du livre, de l’auteur, auprès des publics concernés – personnel et personnes âgées – facilite bien sûr les échanges en évitant de devoir donner un trop grand nombre d’informations nouvelles aux participants qui peuvent se sentir un peu submergés parfois.
Que diriez-vous à un auteur ou une autrice qui hésiterait à se lancer dans un projet de ce type ?
F. L. : Tout dépend des causes de l’hésitation ! Je dirais qu’il ne faut pas se forcer ni se lancer dans ce type de projets coûte que coûte, par principe.
Mais je dirais aussi que les échanges avec des personnes âgées sont forts, enrichissants, certes parfois dérangeants, mais ce qui domine, selon moi, c’est l’impression de cadeaux précieux échangés : une écoute, des réactions, des souvenirs et expériences racontées, une réception particulière de la part de ce public : tous ces éléments m’ont donné l’impression d’offrir un moment qui avait quelque chose à voir avec le sens même de la vie, leur vie et la mienne.
Quel est votre plus joli souvenir ?
F. L. : Deux souvenirs très forts ! Une très vieille dame s’approchant de moi après la rencontre et me parlant de son envie d’écrire avec une intensité extraordinaire. La qualité d’écoute et la présence des regards lorsque j’ai lu un extrait de mon roman.
Derniers ouvrages de Françoise Legendre parus
Une sieste à l’ombre, ill. Julia Spiers, Le Seuil Jeunesse, 2019.
Le Secret du fleuve, éditions Thierry Magnier, 2019.