En 2021-2022, la lecture, facteur d’inclusion sociale, est déclarée « Grande cause nationale » par le gouvernement. L’Agence quand les livres relient a profité de ce cadre pour réaffirmer l’importance des rencontres avec des albums dans les salles d’attente des centres de protection maternelle et infantile (PMI). À cette occasion, elle a créé le site Internet « Dans la salle d’attente… Lire à la PMI » qui réunit des ressources gratuites et exploitables par tous.

Créée au printemps 2004, l’Agence quand les livres relient, association loi 1901, coordonne et anime un réseau national de plus de 210 adhérent·es (structures ou individus) appartenant aux mondes du livre, de la petite enfance, de la jeunesse, de la culture, de la santé, du soin et de l’éducation. Ceux-ci partagent la conviction que la rencontre avec les albums, dès la naissance, est une expérience esthétique et humaine indispensable.

Forte de son expertise et de la diversité de ses membres, l’Agence a réalisé le site internet « Dans la salle d’attente… Lire à la PMI » grâce au soutien du Centre national du livre et au concours du ministère des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, du ministère de la Culture et de la Fondation du Crédit Mutuel pour la lecture. Les ressources qu’on y trouve – brochure, podcasts, photographies, bibliographie – visent à sensibiliser les professionnel·les et bénévoles de la petite-enfance, de la santé, du social et de la culture, les élu·es et le grand public au caractère essentiel des lectures partagées avec les tout-petits et leurs parents. Elles montrent à la fois le caractère stratégique des lieux de la PMI pour les actions d’éveil artistique et culturel, et la nécessité d’inscrire ces temps de lecture dans un projet culturel pérenne, avec des actions récurrentes déployées sur l’ensemble du territoire national.

Julie Bierling, chargée de l’organisation de journées d’étude sur la lecture et les tout-petits à l’Agence et coordinatrice du projet, ainsi que Léo Campagne Alavoine, directrice de l’Agence depuis plus de 10 ans, en retracent l’historique et les enjeux.

Les lectures dans les PMI existent depuis presque 40 ans. Pouvez-vous nous rappeler les temps forts de l’histoire de ces projets ?

Léo Campagne Alavoine : C’est une construction qui mêle deux histoires et deux politiques : celle des PMI et celle de l’éveil artistique et culturel du très jeune enfant.

Les PMI ont été créées après-guerre avec l’objectif de veiller à la bonne santé, au développement et au bien-être des enfants de leur naissance jusqu’à l’âge de 6 ans, et d’accompagner et soutenir les familles dès la déclaration de grossesse.

Quant aux premières actions d’éveil artistique et culturel en salle d’attente PMI, elles ont été mises en place à la fin des années 1970 en Seine-Saint-Denis, grâce à des associations pionnières telles que Enfance et Musique ou Actions Culturelles Contre les Exclusions et les Ségrégations (A.C.C.E.S.), dans le but de combattre les inégalités sociales et culturelles qui se jouent très tôt dans la vie des enfants.

Photographie en couleurs : Un très jeune enfant regarde dans les yeux une femme qui se tient en face de lui. Ils touchent tous les deux un livre jeunesse cartonné. Une petite fille se tient à droite de la femme et tient dans ses mains un livre.

La salle d’attente des consultations PMI a vite été perçue comme un lieu stratégique par les associations, et les lectures en PMI se sont développées dans de nombreux endroits du territoire. Il faut tout de même préciser qu’il y a aujourd’hui encore de grandes disparités à l’échelle nationale.

Julie Bierling : Longtemps accessible sans rendez-vous, la PMI est un lieu gratuit et ouvert à tous, où l’on peut rencontrer toutes les familles. La salle d’attente est donc un vrai espace à saisir et investir.

L. C. A. : Les politiques publiques se sont également emparées du sujet. En effet, en 1989, un premier protocole d’accord a été signé entre le ministère des Familles et le ministère de la Culture pour une politique commune d’éveil artistique et culturel des jeunes enfants. En 2009, le ministère de la Culture a mis en place le dispositif Premières Pages. Destiné aux enfants entre 0 et 3 ans, il répond à quatre objectifs : réduire les inégalités en matière d’accès au livre et à la culture de l’écrit, sensibiliser les familles à l’importance de la lecture dès le plus jeune âge, favoriser la collaboration entre les acteurs du livre et ceux de la petite enfance, valoriser la littérature jeunesse. Le deuxième épisode de notre série de podcasts Dans la salle d’attente, intitulé « Toute une histoire », retrace l’histoire de ces politiques et le développement des actions lecture-petite enfance dans les PMI.

Comment est né votre projet de site internet ?

L. C. A. : Les associations du réseau de l’Agence quand les livres relient nous alertent depuis plusieurs années sur la difficulté croissante de pérenniser les actions d’éveil artistique et culturel dans ces lieux de soin et de prévention que sont les PMI. La crise sanitaire n’a évidemment rien arrangé. À l’occasion de l’année de la lecture, Grande cause nationale, nous avons rencontré le Centre national du livre et nous lui avons proposé ce projet spécifique.

J.B. : En France, 40 % des enfants ne fréquentent pas de lieux d’accueil de la petite enfance, et beaucoup d’enfants ne vont pas régulièrement en bibliothèque. Leurs familles, que l’on ne rencontre donc nulle part ailleurs, peuvent fréquenter les PMI pour leur suivi médical, et c’est parfois dans ce lieu qu’une rencontre inattendue avec des albums peut se produire.

L. C. A. : Ce travail a été mené et coconstruit avec les adhérent·es de notre association. Nous avons mis en place un comité de pilotage composé de 15 associations de lecteurs, deux lectrices indépendantes, deux bibliothèques départementales et un médecin de PMI, qui ont suivi le projet tout au long de sa réalisation.

J.B. : La constitution de ce comité de pilotage nous a permis non seulement de prendre conscience des réalités du terrain, de la diversité des territoires et des projets, mais aussi de découvrir de grandes similitudes dans les modes d’intervention, d’évaluer les besoins communs et de questionner la forme que ces ressources pourraient prendre. Il est essentiel d’expliciter la spécificité des lieux, de sensibiliser et mobiliser les professionnel·les sur l’importance des lectures, de rappeler des points essentiels à la réussite du projet, tels que la formation des professionnel·les et bénévoles (bibliothécaires, animateurs, professionnels de la petite enfance et de la PMI) à la lecture auprès des très jeunes enfants et de leurs parents  ou encore la coconstruction des projets avec les équipes. Avec ces ressources, le comité cherche aussi à proposer un argumentaire pour les responsables de projets, leur permettant de convaincre les élu·es et d’obtenir ainsi des soutiens financiers.

Les ressources disponibles sur le site « Lire à la PMI » sont très éclectiques : brochure, podcasts, exposition de photographies, bibliographie évolutive en ligne… Elles sont une aide pour toutes les personnes qui souhaitent mettre en place des médiations autour du livre auprès des plus jeunes. Pouvez-vous nous parler du choix de ces ressources, autant dans leurs formes que dans leurs contenus ?

J. B. : L’idée est d’offrir plusieurs portes d’entrée pour introduire le sujet de la lecture chez les tout-petits. Notre objectif est que les ressources se complètent, tout en laissant la possibilité de les consulter séparément les unes des autres. Nous nous sommes donc lancés dans la rédaction d’une brochure proposant différentes entrées : une présentation de la PMI, un historique des lectures partagées en PMI, des clés pour le montage de projets, des conseils de partenariat, des éléments de sensibilisation à la lecture à voix haute, des propositions d’albums…

Nous avons également réalisé une série de podcasts à l’adresse autant des professionnel·les que des personnes intéressées ou des parents, ainsi qu’une exposition virtuelle de photographies, visant à rendre visibles les salles d’attente de PMI et à déjouer les représentations de ces lieux peu connus du grand public. Il est aussi question de montrer la diversité des situations et des positions de lecture possibles. Les photographies et les prises de son permettent de comprendre de manière visuelle et sonore ce qu’est la PMI et ce que signifie « lire avec un bébé ». Enfin, l’exposition est également l’occasion de mettre en avant la diversité des livres lus, de montrer tout ce qu’il est possible de lire. Les visiteurs et visiteuses peuvent ainsi se rendre compte que, parmi les livres jeunesse, il n’y a pas que des cartonnés avec quelques mots, mais tout un panel d’albums très variés dans leurs formes et leurs contenus.

L. C. A : Oui, nous aurions pu publier seulement une brochure, mais les autres ressources nous ont paru tout autant essentielles. Les podcasts par exemple permettent de capter l’ambiance des salles d’attente, de donner la parole aux bébés, de faire entendre des bruits qui imprègnent beaucoup l’atmosphère des PMI. Ils donnent une vraie dynamique à ce projet.

Photographie en couleurs : Une femme est assise sur un tapis avec un bébé sur ses genoux. Une personne âgée tient un ballon fait de papier coloré et l'agite devant le bébé. L'enfant regarde fixement le ballon.

Il y a une cohérence dans les ressources, qui se répondent entre elles. En parcourant l’exposition de photographies en ligne, on peut repérer entre les mains des lectrices les albums lus dans les séquences de podcasts.  On les retrouve aussi référencés dans la bibliographie. Il y a ainsi de nombreux échos et complémentarités.

L’élaboration de la bibliographie, qui dresse une liste de 52 albums « incontournables » pour sensibiliser les bébés à la lecture, est une expérience inédite pour l’Agence : nous n’avons pas l’habitude de ce genre d’exercice. Cette bibliographie ne se veut pas exhaustive. Nous sommes partis de l’expérience de terrain des médiateurs et médiatrices en leur posant la question suivante : « Quels sont les trois albums dont vous ne vous séparez jamais lors de vos séances de lecture en PMI ? ». Nous avons ainsi collecté ce que nous avons nommé « les incontournables de la PMI ». Cette bibliographie évoluera au fil des années et en fonction de la parution de nouveautés.

J. B. : La mise à contribution des acteurs de terrain, l’aspect collaboratif de ce travail sont très importants pour nous, non seulement parce que c’est l’objet de notre association – faire réseau –, mais aussi parce que cela légitime le contenu des ressources. Le podcast en est un très bon exemple. Cette série, construite comme un objet choral, valorise une parole commune. Elle est portée par de nombreux acteurs, venus de divers secteurs professionnels, dans différents territoires. Ces ressources montrent qu’à partir d’un socle commun, il existe une multitude de manières de faire la médiation entre les livres et les plus jeunes.

Photographie en couleurs : La photographie représente une salle d'attente d'un centre de Protection maternel et infantile. Trois femmes masquées en blouse se tiennent derrière un guichet. Au centre de l'image, on voit une petite table pour enfants avec des livres et des jeux dessus. Entre la table et la fenêtre, une femme est assise dans un fauteuil avec un enfant sur les genoux. Une autre femme est agenouillée à côté d'eux et tient un livre ouvert, que l'enfant et la femme assise regardent.

En 2023, le projet Dans la salle d’attente… Lire ensemble à la PMI, coordonné par l’Agence quand les livres relient, a reçu un nouveau soutien de la part du ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités pour la valorisation et le développement de nouvelles ressources (une série d’affiches) et l’organisation en 2024 d’un temps fort sur la lecture en salle d’attente de PMI.