L’association Les Papillons Blancs, reconnue d’utilité publique, accompagne près de 2 100 enfants et adultes en situation de handicap mental et leurs familles dans la métropole de Lille. Au sein d’une des structures de l’association, le foyer de vie Les Cattelaines, un projet pour favoriser l’accès à la culture a rassemblé résidents et professionnels du livre autour de la réalisation d’un ouvrage par et pour les personnes en situation de handicap. Porté par deux éducatrices spécialisées, Hélène François et Hélène Leclerc, ce projet a donné naissance au livre intitulé Premier Avril.

Rencontre avec quatre acteurs de ce projet :  Hélène François et Hélène Leclerc, chargées de l’accompagnement des résidents et de la coordination des projets menés de concert avec l’équipe éducative du foyer de vie Les Cattelaines ; Sylvie Sternis, éditrice aux éditions Lescalire ; et Nicolas Delestret, dessinateur et scénariste de bande dessinée.

Hélène François, Hélène Leclerc, pour commencer, pouvez-vous nous en dire plus sur l’établissement dans lequel vous travaillez ? Quelles sont les pathologies ou difficultés des personnes qui fréquentent votre établissement ?

Hélène François et Hélène Leclerc : Le foyer de vie Les Cattelaines accueille 51 personnes de plus de 20 ans au sein de trois résidences et 18 en services d’accueil de jour (SAJ). Les personnes accueillies présentent une déficience intellectuelle associée ou non à des troubles psychiques ou comportementaux. Elles ne peuvent pas ou plus travailler y compris en milieu protégé.

Le foyer de vie s’organise autour d’une grande variété d’activités permettant d’accompagner les personnes de façon la plus adaptée et personnalisée possible. L’objectif étant de permettre à chacune de développer son autonomie et de s’intégrer dans la cité.

Comment s’est pensé et mis en place le projet de réalisation d’un livre avec les résidents ?

H. F. et H. L. : La direction nous a d’abord sollicitées pour mettre en place une médiathèque. Nous avons fait de nombreuses recherches avec les résidents afin de trouver des ouvrages adaptés. Les livres étaient destinés soit aux personnes malvoyantes soit à un jeune public. Par notre expérience, nous connaissions les besoins ; mais nous n’étions pas satisfaites de l’offre.

À défaut de trouver, nous avons imaginé la création de livres adaptés à un public adulte et en situation de handicap. Plusieurs rencontres ont été décisives : Virginie Brivady (Livres-acces), Alexandra Thomas (Signes de Sens) et Sylvie Sternis (éditions Lescalire). Nous avons aussi été soutenues dans notre démarche par Franck Robin et Patricia Le Gall de la médiathèque départementale du Nord. Nous avons obtenu un financement de la Fondation du Crédit mutuel, du Centre national du livre, de la Région Hauts-de-France et de la Région Bretagne.

Sylvie Sternis : Notre première rencontre avec le foyer de vie Les Cattelaines a été aussi déterminante pour nous, pour le développement des collections de la maison. Comme il n’existait pour ainsi dire pas de littérature adaptée pour les adolescents présentant des troubles cognitifs, nous avons créé une nouvelle collection, Pict’ado. Le concept original développé dans ces livres est la « traduction » en pictogrammes des récits. Ainsi est né le projet d’éditer un livre écrit et illustré par les résidents du foyer de vie, dans le cadre de leur projet d’accès à la culture. Un autre livre est publié dans cette collection : s’il n’a pas été réalisé par les résidents, ils en ont été les premiers lecteurs.

Quels en sont les contributeurs ?

H. F. et H. L. : Les premiers contributeurs du projet de livre en pictogrammes sont les résidents. L’écrivaine Brigitte Adgnot et Nicolas Delestret mènent des ateliers chaque semaine depuis 2018 pour les aider à faire aboutir ce projet. En tant que porteuses de projet, nous coordonnons l’ensemble des étapes.

Les résidents sont plusieurs à s’être investis dès le commencement. Tout au long du développement du livre, chacun a pu trouver sa place : neuf en tant qu’auteurs des textes, supervisés par Brigitte Adgnot : Sébastien Zabbara, Daniel Caron, Patricia Popieul, Julien Vandermarlière, Ludovic Lafay, Carole Lamy, Isabelle Descamps, Franck Branquart, Michel Gathié ; et trois autour des illustrations, avec Nicolas Delestret : Matthieu Duvaux, Alain Lequien, Frédéric Bleuzé.

Nicolas Delestret : Il a fallu déterminer qui, dans le groupe, était intéressé et apte à participer à ce projet. La finalité étant un livre édité, il fallait choisir ceux qui pouvaient au mieux réaliser ces dessins pour en faire un livre vraiment accessible.

Ensuite il y a eu un partage des tâches entre les crayonnés, la mise au noir de ceux-ci et enfin la mise en couleur. C’est un vrai travail collectif : chacun participe aux dessins des autres.

Nicolas Delestret, en tant qu’auteur, quelle a été votre motivation à participer au projet ?

N. D. : J’ai découvert l’univers du handicap très récemment et ne m’étais jamais interrogé sur l’existence de livres adaptés. Il y a une finalité très importante, car l’offre est très pauvre. Aider à la réalisation de ce livre est forcément enthousiasmant !

D’après vous, quel est l’apport de ce type de projet pour les résidents ?

H. F. et H. L. : La rencontre avec les professionnels du livre a amené les résidents à découvrir un nouvel univers. Au fur et à mesure des ateliers, une relation s’est instaurée. Cette alchimie a permis de mettre en lumière les compétences de chacun. La constance des ateliers leur a permis d’ouvrir une parenthèse enrichissante en dehors de leur vie en institution.

S.S. : Ce partenariat est une aventure inédite, dans laquelle chaque résident participant est auteur de l’ouvrage collectif, avec un contrat et des droits afférents. Le soin apporté à l’impression a été professionnel et le livre est diffusé par les canaux habituels de Lescalire. C’est un travail de longue haleine, qui progresse au rythme des résidents et qui est soumis aux exigences de l’édition comme aux événements et aléas de la vie du foyer. Mais c’est aussi une magnifique aventure humaine !

N.D. : Le travail avec les résidents est vraiment très intéressant et je crois très valorisant pour eux-mêmes. Beaucoup doutent de leurs capacités, et leur montrer qu’ils sont capables de faire bien plus que ce qu’ils pensent pouvoir faire est vraiment très agréable. La réalisation d’un livre va aussi en ce sens, c’est une étape supplémentaire.

Quels points de vigilance ou aménagements particuliers avez-vous mis en place pour ce projet ? Pour les patients, mais aussi pour les intervenants ?

H. F. et H. L. : D’une part, nous n’avons pas fait de présentation détaillée de chaque participant aux intervenants : nous avons laissé la rencontre se faire sans stigmatisation, et évoluer au gré des ateliers. Nous étions présentes lors des premiers ateliers juste pour créer les premiers liens. D’autre part, nous les avons sensibilisés sur l’importance de leur implication dans ce projet dans la durée.

Nous avons eu des réunions en amont avec Brigitte Adgnot et Nicolas Delestret pour qu’ils puissent adapter au mieux leurs ateliers. Grâce aux financements obtenus, nous avons pu fournir du matériel permettant aux participants de développer leurs compétences tel que des tablettes lumineuses, le logiciel Photoshop…).

Enfin, la direction nous a permis de nous extraire de nos missions quotidiennes pour porter et coordonner ce projet.

Quelles sont selon vous les clés pour la réussite de ce type de projet ?

H. F. et H. L. : Tout d’abord, ce projet doit être porté dans la dynamique de l’établissement. Il faut l’implication des personnes bénéficiaires dès le commencement et dans la durée.

Un partenariat de qualité s’est étoffé dans le temps. Les professionnels du livre nous ont apporté leur expertise, chacun dans son domaine. Tous les partenaires sont en lien autour du projet et de ce fait, chacun se sent impliqué dans la réussite.

Enfin, il est important de rencontrer les chargés de missions et les financeurs qui soutiennent notre projet lors des commissions.

N.D. : Une bonne entente avec les patients. Être à l’écoute de leurs souhaits et les accompagner pour les rassurer par rapport à leurs capacités.

Pour finir, Nicolas Delestret, que diriez-vous à un auteur ou une autrice qui hésiterait à se lancer dans un projet de ce type ?

N.D. : De ne pas avoir peur !