Créer les conditions favorables pour que les enfants, dès leur plus jeune âge, découvrent par eux-mêmes des livres : c’est l’objectif que s’est fixée l’association Lire à Voix Haute Normandie en proposant des lectures individualisées dans les salles d’attente des PMI.

Créée en 1998 par Sylvie Joufflineau, l’association Lire à Voix Haute Normandie cherche à faciliter l’accès au livre et au récit dès la petite enfance. En plaçant la lecture individualisée au cœur de ses actions, elle s’inscrit dans la philosophie de l’association A.C.C.E.S (Actions culturelles contre les exclusions et les ségrégations), dont l’objet était d’accompagner les jeunes enfants dans leur découverte des livres et des récits.

Le déploiement de ces lectures dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI) a constitué l’un des premiers projets de Lire à Voix Haute Normandie, né d’une rencontre entre la fondatrice de l’association et une puéricultrice du département de Seine-Maritime. Elles sont parties du constat que, dans certains territoires du département assez ruraux, les familles pouvaient être isolées et avoir un accès aux livres et aux bibliothèques plus difficile. La PMI permettant de rencontrer un grand nombre de parents avec leurs bébés, dont des familles éloignées des lieux culturels, Lire à Voix Haute Normandie a ainsi proposé des temps de lecture individualisée dans les salles d’attente de consultation.

Corinne Do Nascimento est coordinatrice, formatrice et lectrice au sein de l’association, dans laquelle elle est arrivée en 2015. Elle explique l’intérêt des lectures individualisées dans les structures de la petite enfance.

La lecture individualisée, qu’est-ce que c’est ?

La lecture individualisée est une proposition de lecture faite aux tout-petits, qui leur offre la possibilité d’être libres dans la façon dont ils rencontrent les livres et les récits, tout en les accompagnant dans cette découverte. Il s’agit d’une exploration libre, sans que rien ne soit décidé ou guidé par l’adulte.

Photographie en noir et blanc. Un jeune enfant est penché sur un livre illustré.

Le principe de ces séances de lecture est de proposer un grand nombre d’albums, sélectionnés pour leurs qualités esthétiques et littéraires. S’il en a envie, le petit enfant choisit un livre, ainsi que la personne avec laquelle il veut lire, et rythme la lecture. C’est-à-dire qu’il va lui-même tourner les pages, retourner en arrière ou même interrompre la lecture en plein milieu.

Cette liberté donnée au jeune enfant peut être déroutante pour un adulte. C’est une proposition à la fois simple et compliquée. Elle ne requiert pas de talent de lecteur particulier, mais exige un grand lâcher prise, contrairement à des propositions plus conventionnelles qui sont faites aux tout-petits où c’est l’adulte qui choisit les livres et le rythme de lecture, et où l’enfant n’est souvent pas libre d’intervenir.

Il y a un pas de côté de la part du lecteur ou de la lectrice qui doit faire confiance à l’enfant. Accepter la lecture en mouvement par exemple lui demande une véritable souplesse. Pour être au plus juste dans l’accompagnement du petit enfant, la lecture individualisée requiert une observation fine de ce dernier, tout en restant dans la spontanéité et l’improvisation.

En quoi cette lecture favorise-t-elle l’éveil de l’enfant et quelle différence peut-on faire avec la notion de stimulation ?

La lecture individualisée favorise l’éveil du petit enfant car en lui proposant un espace de liberté, on le laisse devenir acteur. Quand on réfléchit à la notion d’éveil culturel, il est important de s’interroger sur nos intentions d’adulte et sur la place laissée aux enfants. Dans les projets de lecture avec ces derniers, les adultes ont souvent des préoccupations éducatives, une volonté de capter leur attention, d’accompagner les apprentissages. Parfois, ces intentions peuvent amener à des apprentissages précoces ou à une stimulation intellectuelle. En laissant une grande place à l’enfant, on évite, à mon sens, de tomber dans ce risque de stimulation.

Cette place permet à l’enfant, par le biais des récits, d’expérimenter, d’essayer de comprendre par lui-même le monde qui l’entoure. L’adulte doit être attentif à créer des conditions favorables à cette exploration, mais le mouvement part de l’enfant.

Pourquoi proposer les lectures individualisées en PMI ?

Dès l’enfance, il y a de grandes inégalités dans l’accès aux livres et à la lecture. Or, la PMI est un lieu que fréquentent de très nombreuses familles et où l’on ne s’attend pas à trouver des livres. Nous y rencontrons donc des familles que l’on n’aurait jamais rencontrées ailleurs et nous pouvons leur proposer des lectures de manière informelle, sur des temps d’attente. J’insiste beaucoup sur le fait qu’il n’y a aucune d’obligation à lire pour la famille et pour le petit enfant : c’est une invitation.

Photographie en couleurs. Un bébé d'environ 3 mois, de profil, regarde avec attention un album illustré. Il est assis contre le buste d'une femme qui tient le livre entre ses mains.

En PMI, les lectures se font sous le regard des parents. Elles les amènent à poser un autre regard sur leur bébé. Souvent ils sont étonnés et surpris de voir à quel point leur enfant réagit à la lecture.

Comment ces lectures se mettent-elles en place dans les PMI ?

Il est nécessaire de travailler très en amont avec les professionnel·les de la PMI, de réfléchir avec eux aux conditions des lectures avec les tout-petits, de les sensibiliser à leurs enjeux. Leur attitude pendant les lectures est très importante : un ou une pédiatre qui écoute la fin d’une lecture en salle d’attente et qui fait attention à ne pas l’interrompre montre aux parents l’importance de ce moment. Au sein de l’équipe, la cohérence des discours et des attitudes envers les familles est indispensable.
Ce travail partenarial avec les professionnel·les de la structure permet également d’inscrire les projets dans la durée. Ce temps long est nécessaire pour que les familles puissent cheminer à leur rythme, sans subir d’injonction.

Quels sont les points de vigilance auxquels penser lors de la mise en place de ces actions ?

Ces actions sont à la croisée de perspectives à la fois politiques, économiques, sociales et culturelles. Les perspectives culturelles sont importantes mais il ne faut pas oublier le reste, notamment les particularités des centres PMI. Il s’agit, par exemple, de prendre le temps de rencontrer les familles dites « éloignées de la lecture », afin de ne pas les braquer.

La réalité politique et économique doit également entrer en considération pour que ces actions s’inscrivent dans la durée. Idéalement, elles devraient être inscrites dans les projets d’établissement, afin qu’elles ne soient pas ponctuelles mais qu’elles deviennent de véritables actes de prévention, au même titre que les questions d’alimentation par exemple.

En quoi ce projet de lectures individualisées en lieux de soin, en PMI en particulier, peut-il être facteur de bien-être pour le jeune enfant ?

Dans ces lieux de soin, paradoxalement, cela peut rassurer les familles qu’il n’y ait pas que des offres de soin. En salle d’attente, elles peuvent ressentir de l’inquiétude : la lecture va alors ouvrir une autre porte et leur permettre de se sentir momentanément plus tranquilles. Souvent, les enfants entrent dans le cabinet du ou de la pédiatre avec le livre qu’ils avaient en main. Ils restent ainsi en lien avec le moment de lecture partagé en salle d’attente et peuvent y revenir ensuite. On observe ainsi que l’accompagnement du moment de soin par le récit peut le rendre plus doux et apaisant.

Votre association est organisée autour de trois axes d’interventions qui se répondent et se complètent : outre les lectures de terrain, vous proposez des observatoires et journées d’étude, ainsi que des formations. Quels sont les objectifs de ces deux derniers axes ?

La philosophie de notre association est de faire des allers-retours entre pratique et théorie. N’être que dans la théorie ne permet pas de l’éprouver et n’être que dans la pratique ne permet pas de la penser. Nous sommes dans une vraie dynamique d’accompagnement et surtout dans l’observation fine des enfants : ces derniers nous apprennent beaucoup, quand on prend le temps de les regarder.

Nous organisons quatre journées d’études par an, « les observatoires », qui sont des journées gratuites et ouvertes à tous. Nous sommes aussi organisme de formation et, à ce titre, nous accompagnons les professionnel·les en contact avec des familles et des jeunes enfants dans l’exercice de leurs missions. L’objectif de ce volet théorique est de proposer une réflexion sur les projets de lecture avec les tout-petits et leurs familles, les enjeux de la présence des livres dès le plus jeune âge et les questions liées au développement des enfants. Il interroge également, avec les professionnel·les, la place laissée à l’enfant et sa liberté d’agir dans sa rencontre avec les livres.