Créée en 1997, La Ferme du Vinatier est le service culturel du centre hospitalier Le Vinatier, établissement lyonnais référent en psychiatrie et santé mentale. Ouverte à tous les publics, la Ferme entend lutter contre la stigmatisation de la maladie, des usagers et de l’institution. Sa saison culturelle, inscrite dans le cadre du programme régional Culture et Santé, est composée de projets artistiques transversaux qui font la part belle au livre, à la lecture et à l’écriture.
Rencontre avec Coline Rogé, cheffe de projet de la Ferme du Vinatier.
Comment et avec qui travaillez-vous votre programmation ?
Corine Rogé : La programmation de la Ferme du Vinatier s’appuie sur un réseau d’artistes ainsi que sur un réseau de partenaires culturels de champs différents : théâtre, danse, livre et poésie. Nous prenons le temps, bien en amont, d’imaginer et de construire avec eux des projets culturels et développons notre programmation autour de thématiques liant art et santé mentale.
De plus, nous avons un conseil d’orientation culturel composé d’un représentant des usagers, de médecins, de directeurs et de partenaires culturels sur lequel nous nous appuyons pour organiser les saisons.
Pouvez-vous nous parler de vos publics ?
C. R. : La Ferme du Vinatier n’a pas de public abonné comme c’est le cas pour un théâtre, et nous pouvons qualifier le nôtre de très hétéroclite. Nous avons bien sûr des personnes suivies ou hospitalisées, mais aussi des personnes extérieures, des professionnels de santé, et le public de nos partenaires culturels. Ce qui est intéressant, c’est que l’on a toujours de nouveaux participants qui viennent et qui découvrent le lieu, d’autres qui suivent la Ferme tout au long de la saison, ainsi que des personnes qui participent aux ateliers et ont envie par la suite de venir aux rencontres.
Notre programmation conditionne le type de public qu’on accueille. Je crois que celle-ci permet de faire croiser des populations qui, peut-être, ne se seraient pas rencontrées ailleurs.
Vous faites une grande place au livre et à la lecture dans votre saison culturelle. Pouvez-vous nous parler de ces actions ?
C. R. : Nous tentons de faire rencontrer le récit et la poésie de différentes manières et de faire voyager à travers divers dispositifs. Par exemple, nous avons accueilli l’année dernière, avec le Musée des Confluences, une cabane à histoires qui propose de rentrer dans un espace scénographié et d’écouter un récit en lien avec un objet issu des collections du musée.
Nous avons un lien étroit et très régulier avec l’Espace Pandora, « agitateur poétique » qui mène, sous statut associatif, des actions culturelles en faveur du livre et de l’écrit. Il rayonne sur toute l’agglomération du Grand Lyon et est à l’initiative de deux manifestations : le Magnifique Printemps et Parole Ambulante. Tous les ans, nous avons à cœur de faire résonner les programmations de nos deux structures.
Cette année, nous avons décidé de mettre en place un format de création mêlant arts plastiques et écriture avec l’artiste Angélique Cormier dans le cadre d’un projet intitulé Manifestation poétique. Nous accompagnons également le projet d’une unité fermée de l’hôpital, où l’artiste slameur Fish le Rouge anime des ateliers en vue de créer des cartes postales intégrant des QR-codes. Ceux-ci permettront de faire voyager les poèmes réalisés au gré des rencontres publiques du Magnifique Printemps.
Enfin, nous collaborons régulièrement avec le festival international de littérature de Lyon, Littérature Live, ou encore avec la Fête du livre de Bron. C’est ainsi que nous avons, par le passé, accueilli Gabriela Cabezón Cámara, Marie Depussé, Emmanuelle Guattari… pour des rencontres ponctuelles, ainsi que des auteurs et autrices en résidence, comme Tatiana Arfel ou encore Jane Sautière. Tous et toutes ont un intérêt ou une appétence pour l’histoire de la psychiatrie.
Parfois, nous invitons des auteurs dont le roman traite d’un sujet qu’il va être intéressant de questionner à l’aune du prisme littéraire, mais également d’un point de vue clinique. Nous invitons alors un psychiatre qui va dialoguer avec l’auteur autour de cette thématique. Ce peut être par exemple la question des secrets de famille.
Toutes ces propositions tentent de raconter quelque chose avec notre lieu, notre programmation et les intérêts de nos publics.
Ces actions ne sont pas mises en place dans le cadre thérapeutique, mais peuvent-elles contribuer au bien-être des patients ? Avez-vous des retours de ces publics ?
C. R. : Nous avons un retour très positif : la littérature est en effet un moyen d’évasion, d’expression et un espace d’échanges et de débats pour exprimer des choses que l’on n’exprimera pas autrement. Pour notre part, nous sommes très attentifs au fait d’accompagner les personnes en difficulté. Une médiatrice culturelle de la Ferme est là pour faire le trait d’union entre l’artiste et les publics, comme une interface pour aider ces derniers. C’est un aspect très bien intégré et valorisé dans nos projets. Nous faisons attention dans notre programmation à travailler des actions à modalités et horaires différents pour que chacun et chacune puisse en profiter.
Les artistes que vous faites venir sont-ils sensibilisés en amont aux publics qu’ils vont rencontrer ?
C. R. : À mon sens, les artistes sont des personnes travaillant avant tout dans la dimension de la création. On ne leur demande pas d’être des spécialistes de la santé mentale. Notre public étant hétérogène, on leur demande plutôt d’être dans une forme d’universalité et d’attention à l’autre. La plupart du temps, ils sont surpris par la qualité des rencontres. J’irai même jusqu’à dire que cela peut nourrir leur créativité.
L’hôpital psychiatrique est un endroit assez marqué, non neutre, et j’ai toujours envie de dire que l’artiste vient nous rencontrer car il a déjà un intérêt pour des publics fragilisés. On ne vient pas travailler en psychiatrie par hasard !
Nous sommes là pour déconstruire des clichés dans une démarche d’altérité et d’adresse au public. Je fais toujours confiance aux artistes pour s’adapter aux possibilités des personnes qu’ils ont en face d’eux.
Avez-vous aussi des liens avec des bibliothèques, et dans quel cadre ?
C. R. : Oui bien sûr ! En interne, il existe une bibliothèque des patients, ouverte à tous, avec laquelle nous essayons d’imaginer des collaborations : des ateliers d’écriture sont délocalisés dans ce lieu, ce qui permet de le faire vivre et de le faire connaître. Il y aussi la bibliothèque médicale et, à la Ferme du Vinatier, un fonds documentaire spécialisé sur les thématiques art, culture et santé mentale, patrimoine et histoire de la psychiatrie.
Nous travaillons énormément avec les médiathèques du territoire et nous développons à chaque fois des partenariats dans le cadre de nos projets pour faire découvrir ces lieux à nos publics. L’objectif est que les personnes hospitalisées s’autorisent à les fréquenter.
Nous espérons toujours tisser des liens qui dépassent la restitution des projets, c’est un travail au long cours.
Propos recueillis en février 2023 par Marie Cosnuau.