La Liseuse est une compagnie de lecture à voix haute rassemblant une trentaine de comédiens qui, depuis 2006, colportent des textes de littérature française et étrangère en médiathèque, en milieu scolaire, en prison, à l’hôpital, en maisons de retraite, dans les musées… La comédienne Laure Sirieix revient sur son expérience à l’hôpital et en établissement médico-sociaux au sein de cette compagnie, et en particulier sur une résidence de trois années (2018-2020) dans trois unités de soins de l’hôpital Sainte-Périne à Paris.

Comment l’aventure de La Liseuse a-t-elle commencé ?

Laure Sirieix : Il y a 20 ans, j’ai rencontré Caroline Girard. L’une et l’autre comédiennes, nous nous sommes immédiatement entendues sur les textes qui comptent pour nous, avec l’envie de les partager largement, d’aller avec nos valises de livres à la rencontre de tous les publics, ceux des salles de spectacle mais aussi et surtout ceux qui se tiennent en retrait des espaces culturels, ceux qui vivent à l’écart de la cité.

C’est ainsi que La Liseuse, compagnie de lectures à voix haute itinérante, a été créée et qu’ont commencé nos pérégrinations entre cave à jazz, trains vapeur, Bateau-Livres, rayon aménagement des Galeries Lafayette, rayon décoration du BHV, campings, librairies, théâtres, musées, prisons…

Et à l’hôpital ?

L. S. : Évelyne Menaud – alors responsable de la médiathèque de l’hôpital Saint-Louis – nous a invitées à venir lire auprès des patients très isolés des services hyper protégés.

Ont suivi de nombreux partenariats avec des hôpitaux de l’AP-HP et des hôpitaux privés. Des cycles de lectures mensuelles à destination des patients et des familles alternent avec des résidences au long cours (trois ans dans un même établissement autour d’un programme de lectures/formation à la lecture/ateliers d’écriture/création audio et vidéo) à destination des patients, familles et personnels soignants.

Qu’est-ce qui vous a motivée à y participer ?

L. S. : Cette initiative a tout de suite trouvé écho en moi qui ai subi, adolescente, une longue hospitalisation et qui en ai gardé le souvenir d’une grande solitude. Et comme l’hôpital m’a sauvée, le milieu hospitalier n’a pas sur moi d’effet anxiogène, au contraire, je m’y sens en sécurité et à ma place dans mon rôle de liseuse au chevet des patients. Fière aussi d’être au service… du service public !

Et ce projet a aussitôt remporté l’adhésion des patients, très touchés par cette délicate attention de venir jusqu’à leur lit pour les border de mots, de textes – au format ajusté à leur état de santé – qui leur font provisoirement oublier leurs maux. Les soignants, de leur côté, découvrent au fil de ces séances des facettes inconnues de leurs patients.

Comment choisissez-vous les textes ?

Les séances sont minutieusement préparées avec Caroline Girard selon deux étapes fondamentales : le choix des textes parmi la littérature romanesque, poétique, théâtrale française et étrangère ; le découpage d’un passage qui doit faire sens, isolé de son contexte. Une bibliothèque de textes courts est ainsi constituée et régulièrement augmentée de nouveaux extraits, variant thématiques, univers, styles afin de satisfaire les diverses sensibilités des patients. Tous les sujets sont abordés, sans aucune censure, ne réduisant pas ces lectures à un seul divertissement ludique.

Qu’ils soient lecteurs ou non, les patients consentant à mes lectures m’accueillent avec enthousiasme. Ma venue – toujours annoncée par le service – est perçue comme une bouffée d’air frais : j’arrive de l’extérieur, sans blouse blanche, sans recette, sans a priori et sans réduire les êtres à leur pathologie. Très vite, le contexte de l’hôpital est mis entre parenthèses ; je profite d’une brève présentation pour inventorier, l’air de rien, les détails susceptibles de me livrer quelques indices sur leurs goûts et leurs centres d’intérêt : les livres et magazines accumulés ou pas sur la table de nuit, les photos et les objets porte-bonheur qui leur tiennent compagnie me racontent beaucoup d’eux, et me guident vers le juste texte… alors je me lance. Les textes proposés réveillent une mémoire ensommeillée, délient la parole, titillent la critique, déclenchent sourire ou larmes ! Je lis un, deux… trois textes, ils répondent par leurs mots ; ainsi se construisent des conversations singulières de chambre en chambre.

Quels points de vigilance ou aménagements particuliers avez-vous mis en place face à ce public ?

L. S. : Rester à l’écoute pour respecter avec le plus de tact et de souplesse possibles, le confort et le bien-être des patients. Détecter les signes de fatigue ou de douleur – pathologies et traitements obligent – surtout chez les personnes réservées, qui n’oseraient pas écourter notre échange par souci de bienséance.

D’après vous, quel est l’apport de l’intervention d’un artiste auprès des patients ou des résidents ?

L. S. : Faire entrer des intervenants à l’hôpital, c’est permettre aux patients d’échapper provisoirement aux souffrances physiques et psychiques engendrées par la maladie. C’est leur offrir la possibilité de participer à une activité culturelle, de rompre la monotonie d’une journée rythmée par les soins, de s’inscrire dans un lien social et de retrouver une estime de soi.

Quelles sont les clés de la réussite d’un tel projet ?

L. S. : La sincérité, la spontanéité, la générosité. Oublier tous les a priori : quelqu’un qui ne maîtrise pas notre langue, peut tout à fait suivre une lecture appropriée : “J’ai tout compris !” m’a dit, fièrement et avec un large sourire, un monsieur qui ne parlait pas couramment le français. L’adaptabilité face à chaque patient unique. L’écoute des paroles et des silences des patients. La capacité d’improvisation dans cet instant imprévisible. La capacité à trouver la juste distance dans cette parenthèse d’intimité.

Quel est votre plus joli souvenir ?

L. S. : Je n’oublierai jamais ce jeune garçon avec des blessures à la tête et aux bras que je ne pouvais ignorer. Sans rien connaître de sa vie, je lui lis l’histoire d’un homme, précipité dans la mer, dont la légende dit qu’il était jaloux et pingre à l’égard de son jeune frère et que la mer est devenue salée par sa faute…

“Tu m’étonnes qu’elle est salée, la mer, regarde ce qu’elle m’a fait !” m’a t-il dit à la fin de ma lecture, en me montrant ses bras couverts de plaies… Alors ce jeune migrant m’a raconté sa traversée du désert depuis le Bénin… son accident de camion avant de monter dans le rafiot qui s’est retourné en mer et cette eau, salée, qui rongeait ses blessures… son naufrage quand il s’est échoué, nu, sur les côtes de Malaga, sauvé, inconscient, par un Espagnol dont il ignorait l’identité et qui l’a confié à un autre inconnu… son arrivée dans ce service hospitalier où une soignante est entrée, les bras chargés d’un plateau-repas offert par une association de bénévoles qui lui avaient cuisiné un plat de son pays…

Ce jeune clandestin qui avait besoin de raconter son histoire, venait de trouver une occasion de le faire… Ce jour-là, de lectrice, je suis devenue spectatrice, parcourue de frissons, émue par la confiance et la reconnaissance qu’il me témoignait…

Que diriez-vous à un·e artiste ou un auteur, une autrice qui hésiterait à se lancer dans un projet de type ?

L. S. : Rien d’autre que d’écouter sa “voie”…

 

Pour en savoir plus 

Lors de la résidence 2018-2020 à l’hôpital Sainte-Périne (Paris), intitulée “La voix est livres”, la compagnie La Liseuse a réalisé :

  • Formation des personnels soignants : 6 stages lecture à voix haute
  • Lectures à destination des patients et de leurs familles : 90 lectures
  • Atelier écriture à destination des personnels soignants
  • Réalisation d’une installation plastique avec les personnels soignants
  • Création d’un porte sérum sonore
  • Portraits audio
  • Portrait vidéo
  • Tournage d’un documentaire 52’ avec un groupe de patients

Les traces de la résidence : lectureslaliseuse.fr/residences/lavoieestlivres

Compagnie La Liseuse : lectureslaliseuse.fr